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Tuesday, July 3, 2007

*Ces milliards perdus à cause de la pollution...*

*** Même l’hebdomadaire officiel pékinois Liaowang s’en émeut : les autorités locales sacrifient toujours l’environnement à la croissance économique.

Grâce à la délocalisation d’une usine pharmaceutique initialement implantée dans une région côtière, une préfecture du centre de la Chine a vu son PIB grimper de 100 millions de yuans par an [10 millions d’euros] et a redonné du travail à 400 de ses administrés. Les autorités locales sont ravies d’avoir réalisé une telle opération.
Le revers de la médaille, c’est le problème des eaux usées rejetées par cette usine dans un cours d’eau désormais pollué sur une dizaine de kilomètres. Une odeur nauséabonde empeste ses deux rives. Les champs sont souillés, tout comme les nappes phréatiques, tandis que, dans plusieurs villages, on tombe de plus en plus souvent malade. De toute évidence, il ne s’agit pas d’un cas isolé dans la Chine d’aujourd’hui. A l’issue de notre enquête consacrée aux problèmes environnementaux, nous constatons que les scènes de dévastation de l’environnement sont assez courantes. Des régions entières sont enfiévrées par le boom économique, mais, parallèlement, la pollution s’aggrave de façon inexorable. Très peu de cadres locaux gardent la tête froide et réfléchissent aux conséquences néfastes que cela peut avoir sur notre vie, sur notre développement à long terme et pour les générations futures. Ce qu’ils voient, c’est la “vitesse de développement”, qu’ils souhaitent toujours “plus rapide”.

Plus inquiétante encore est l’opinion des spécialistes de l’environnement. Selon eux, la croissance économique de la Chine repose principalement sur une prise de risque et fait main basse sur les ressources naturelles. La pollution de l’environnement et la destruction des écosystèmes prennent des proportions inédites et présentent désormais un caractère structurel. Les progrès économiques et sociaux marquent le pas. Aujourd’hui, la crise environnementale n’est plus à annoncer, elle est bel et bien devenue une limite au développement économique et social.
Pollution des eaux, des sols, dégradation de l’environnement, désertification, revanche de la nature… comment allons-nous supporter tous ces coûts environnementaux ?

En 2004, les pertes financières causées par la pollution dans l’ensemble du pays se sont élevées à 512 milliards de yuans, soit 3,05 % du PIB. Si l’on avait voulu, avec les technologies disponibles, éliminer les polluants diffusés dans l’environnement en 2004, il aurait fallu investir 1 079 milliards de yuans (soit près de 6,7 % du PIB).
Ces chiffres sont tirés du premier rapport national jamais publié en Chine évaluant d’un point de vue économique les atteintes à l’environnement. Il s’agit du “Rapport 2004 sur l’évaluation de l’économie nationale verte en Chine”, publié conjointement par l’Administration nationale pour la protection de l’environnement [plus connue sous son acronyme anglais SEPA] et le Bureau national des statistiques. Ce rapport, fruit de deux années de travail, s’est fondé sur des données collectées en 2004. Grâce à cette étude, la population peut pour la première fois apprécier de manière chiffrée les pertes économiques et sociales dues aux dégradations de l’environnement.

Mais, selon Pan Yue, sous-directeur de la SEPA, ce rapport ne se fonde que sur des données partielles, qui prennent en compte la pollution mais pas les dégâts durables causés à l’environnement – comme les dommages infligés aux nappes phréatiques et aux terres arables. Le rapport 2004 fournit donc un décompte lacunaire. Toujours est-il que le calcul des coûts environnementaux ne suffit pas ; l’essentiel est de vouloir les réduire. Lors de notre enquête dans les régions, nous avons relevé qu’aux yeux de certains dirigeants locaux seule importait la vitesse de développement. A continuer ainsi, nous risquons d’avoir à payer pour cela un prix de plus en plus fort.

Selon les experts, la pollution des eaux et les rejets de dioxyde de soufre, loin de baisser, restent à un niveau élevé. Cela s’explique par le fait que la croissance rapide du premier semestre 2006 a surtout été tirée par des investissements dans des secteurs industriels gourmands en énergie et polluants, comme les centrales thermiques. Les documents fournis par la SEPA montrent que, depuis la fondation de la République populaire, il y a une cinquantaine d’années, le PIB a plus que décuplé, tandis que la consommation des ressources minières a été multipliée par plus de quarante. Pour une même consommation de ressources naturelles, les Etats-Unis produisent dix fois plus de richesses, et le Japon vingt fois plus. Quant aux émissions de dioxyde de soufre et d’oxydes d’azote par unité de PIB, elles sont huit à neuf fois supérieures à celles des pays développés.

Les dégâts sur l’environnement sont visibles : les côtes de la Chine sont touchées quatre fois plus régulièrement par des marées rouges [dues à des algues toxiques qui colorent la surface de l’eau, souvent en rouge] que dans les années 1980 ; un tiers des grandes villes chinoises connaissent de graves problèmes de pollution atmosphérique ; dans certaines villes de petite et moyenne importance et dans les régions rurales, la pollution tend à s’accroître ; la Chine figure dans le trio de tête des pays du monde les plus affectés par les pluies acides ; les villes chinoises produisent chaque année 149 millions de tonnes d’ordures, dont moins de 20 % sont recyclées ; les nuisances sonores constituent également un grave problème. Mais c’est surtout la question de l’eau potable qui est la plus préoccupante : 90 % des cours d’eau traversant des agglomérations chinoises sont gravement pollués, 75 % des lacs souffrent d’eutrophisation et près de 300 millions de paysans boivent une eau non potable. De plus, 97,1 % des accidents environnementaux survenus en 2005 étaient des pollutions accidentelles, dont 50,6 % concernaient les milieux aquatiques. [En novembre 2005, la rivière Songhua, dans le nord-est de la Chine, a subi une grave pollution au benzène due à un accident industriel. Cette affaire a été la première à avoir une incidence directe sur un pays voisin, en l’occurrence la Russie. Elle a entraîné le limogeage du ministre de l’Environnement.]
Les maux s’accumulant, l’instabilité sociale provoquée par la pollution de l’environnement grandit chaque jour un peu plus. Le directeur de la SEPA, Zhou Shengxian, le confirme, en indiquant que les manifestations suscitées par des problèmes environnementaux ont augmenté ces dernières années à un rythme annuel de 29 %. En 2005, la pollution a été à l’origine de 51 000 litiges dans l’ensemble du pays. Depuis la pollution de la rivière Songhua, la Chine a été frappée par 73 autres catastrophes écologiques. Il est grand temps de mettre un terme à cette situation de soumission de l’environnement à la croissance économique.

*** CHIFFRES

Un coût humain exorbitant

Selon le Liaowang Xinwen Zhoukan, voici les principales conséquences des dommages causés à l’environnement en 2004.

• Pertes économiques
512 milliards de yuans [50 milliards d’euros], dont 42,9 % dus à la pollution atmosphérique, 55,9 % à la pollution de l’eau, 1,1 % aux accidents industriels et 0,1 % aux déchets.

• Coût du traitement (estimation)
287 milliards de yuans, dont 63,7 % consacrés à l’eau, 32,1 % à l’air, 4,2 % aux déchets. Une remise en état complète aurait coûté 1 079 milliards de yuans.

• Conséquences de la pollution atmosphérique sur la santé humaine
358 000 décès, 640 000 hospitalisations, 256 000 nouveaux cas de bronchite chronique, le tout pour un coût évalué à 152 milliards de yuans.

• Conséquences de la pollution de l’eau sur la santé humaine
118 000 décès (chez les paysans) dus au cancer, et un coût de 17 milliards de yuans ; sans compter 1 milliard de yuans supplémentaire à cause des maladies transmises par l’eau non potable.


Chen Zewei
Liaowang Xinwen Zhoukan (Outlook Weekly)
Courrier International

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