*HUB «DIGITAL DIPLOMACY» «DIPLOMATIE NUMERIQUE»* BY MORGANE BRAVO

Monday, July 9, 2007

*Allocution de M. Nicolas SARKOZY, Président de la République, à l'occasion de la grande réunion publique sur le thème de l'Europe.*

*** Mesdames et Messieurs,

Il y a quelques mois je suis venu à Strasbourg effectivement, Chère Fabienne, Cher Robert, pour parler de l'Europe, de l'idée que je m'en faisais, de la place que je voulais lui donner dans la politique de la France telle que je la conduirais si j'étais élu Président de la République.

Ce soir-là, j'ai dit aux Français ma vérité sur l'Europe. Ce soir-là, j'ai pris des engagements, des engagements devant les Français à propos de l'Europe.

Ce soir, je reviens à Strasbourg. Je viens rendre des comptes aux Français de ce que j'ai fait dans la perspective de ce sommet européen qui restera comme un moment important dans la construction de l'Europe.

Ce soir, je viens dire aux Français, quelles leçons je tire de ce qui s'est passé pour le présent et pour l'avenir. Quand on prend des engagements, on les tient. Le divorce entre la France et la politique, ce sont des paroles données et jamais tenues. La rupture que j'appelle de mes vœux, c'est celle-ci : ce que j'ai dit avant les élections, je le tiendrai après. Je veux réconcilier les Français avec la politique.

Avant de venir ici, quand j'ai parlé de l'Europe, ce 21 février dernier, je m'étais arrêté à Verdun.

Je me souviens qu'à ceux qui ce soir-là étaient venus m'écouter, j'ai dit l'impression que j'avais eue d'entendre, sortant de la terre où furent versés tant de larmes et de sang, ce cri qui fut celui de tous les survivants de cet enfer : "Plus jamais cela !"

Plus jamais un tel carnage, plus jamais deux peuples européens au XXe siècle dressés l'un contre l'autre dans le but de se détruire !

Je me souviens que j'ai parlé de cette fatalité tragique qui dans chaque guerre préparait la suivante, qui dans chaque meurtre annonçait le meurtre à venir.

Je me souviens que ce soir-là j'ai évoqué des hommes de bonne volonté qui s'appelaient CHURCHILL, de GAULLE, SCHUMAN, MONNET, GASPERI, effarés par l'indicible horreur des camps et les souffrances de la guerre, qui avaient choisi de montrer au monde qu'un idéal de paix et de fraternité pouvait être plus fort que l'esprit de vengeance et de haine, attisé par le souvenir du malheur.

Ce fut à ce moment-là que naquit en Europe une volonté de tout faire pour que les valeurs de la civilisation européenne ne soient pas anéanties par la guerre civile européenne.

Cette volonté, qui fut d'abord celle de quelques grandes consciences isolées, forgea en quelques générations une véritable conscience européenne.

Cette volonté, cette conscience furent d'abord françaises.

C'est la France qui a le plus voulu l'Europe et qui l'a rendue possible en prenant l'initiative du geste fraternel qui allait changer le cours de l'histoire. Car si l'Europe de la civilisation et de la culture est un héritage multiséculaire, si l'homme européen est une réalité depuis bien longtemps, l'Europe telle que nous la connaissons, telle que nous la voulons, l'Europe de la paix, l'Europe des peuples qui ne sont plus rivaux, qui ne sont plus ennemis, qui sont des partenaires, l'Europe des nations conscientes que leur destin est commun et décidées à le forger ensemble, l'Europe fraternelle, cette Europe, elle est sortie de la réconciliation franco-allemande, elle est sortie de cette volonté commune non pas d'oublier les souffrances mais de les surmonter, non pas de récuser un passé douloureux mais de regarder ensemble vers l'avenir.

L'amitié franco-allemande est à l'origine de l'Union européenne. Elle en restera le ciment à jamais. C'est pourquoi, Strasbourg, symbole de la réconciliation franco-allemande, est à jamais la capitale de l'Europe. Parce que c'est ici que l'on s'est battu et c'est ici que l'on s'est réconcilié.

L'union de l'Europe n'est pas fondée sur la repentance. L'union de l'Europe n'est pas fondée sur l'expiation d'une histoire tragique. Elle est fondée sur la volonté partagée par tous les peuples européens de tirer les leçons de cette histoire.

Elle est fondée sur la volonté partagée de préserver l'immense héritage de civilisation que les siècles nous ont légué, de conserver ce trésor inestimable que j'appelle l'humanisme européen, de garder vivant l'homme européen, cet idéal humain que nous avons voulu faire partager, de façon universelle, à tous les hommes à travers le monde.

Le jour où il fit entrer Jean MONNET au Panthéon, François MITTERRAND déclara : "l'Europe restera, quoi qu'il advienne, celle de Jean MONNET".

Elle restera aussi celle de Schuman et celle du général de Gaulle. Ce qui donne à la France une responsabilité particulière dans la construction de l'Europe. Cette responsabilité, elle est politique. Mais oserai-je le mot ? Elle est plus encore morale. C'est cette responsabilité, politique et morale, que j'ai voulu assumer.

Ce que ces Français illustres ont accompli et qui est si grand au regard de l'Histoire, mes chers amis, nous avons le devoir de le continuer. C'est le premier devoir du Président de la République française.

Depuis toujours, la France n'est elle-même, la France n'est grande, la France n'est forte que lorsqu'elle se place au centre de gravité de l'Europe.

Ce que, pendant des siècles, la France a accompli en Europe dans l'ordre de l'esprit, dans l'ordre de la pensée, dans l'ordre spirituel ou dans celui de la puissance, elle doit l'accomplir maintenant dans l'ordre politique au service de cette union de peuples sans cesse plus étroite qui est la définition que donnaient du projet européen les pères fondateurs.

Ce devoir, il n'est pas seulement le nôtre, à nous, Français, à cause de MONNEt, SCHUMAN et de GAULLE. Nous n'avons pas le devoir de faire l'Europe seulement pour être dignes de ce qu'ils ont accompli au nom de la France. Mes chers amis, nous avons le devoir de faire l'Europe pour être fidèles à nous-mêmes.

Nous avons le devoir de faire l'Europe pour exactement les mêmes raisons qui les ont poussés à la faire et qui tiennent à ce que nous sommes, qui tiennent en vérité à notre identité française qui est au croisement de tous les courants de pensée et de culture, de toutes les sensibilités et de toutes les croyances de l'Europe.

Il n'y a pas de culture française sans SHAKESPEARE, sans DANTE, sans GOETHE, sans CERVANTES. Il n'y a pas de culture française qui regarde comme étrangers FAUST, DON QUICHOTTE ou HAMLET. La pensée française est l'héritière de KANT, de SPINOZA autant que de MONTAIGNE, de PASCAL ou de DESCARTES.

Nous avons un devoir vis-à-vis de l'Europe parce que l'Europe, c'est une part de nous-mêmes sans laquelle nous ne serions pas ce que nous sommes, parce que la conscience européenne, c'est notre conscience, parce que la culture européenne, c'est notre culture, parce que le destin de l'Europe, c'est notre destin, parce que l'identité de l'homme européen, c'est notre identité. Etre Européen et être Français, c'est respecter son histoire, son identité et ses valeurs. Voilà le message, qu'en tant que Président de la République française, je me dois de porter.

Alors, bien sûr, qu'est-ce que l'idéal européen ? C'est la volonté de dresser l'Europe contre la mort d'une certaine idée de l'homme et de la civilisation dont la menace fut d'abord dans la succession des guerres civiles européennes puis dans la guerre froide, et qui se trouve aujourd'hui dans le risque d'aplatissement du monde global et dans les crispations identitaires qu'il provoque.

Voilà ce que c'est, l'idéal européen. Voilà ce à quoi, il nous faut toujours revenir quand nous doutons de l'Europe.

Voilà la finalité de tous ces efforts que nous faisons pour construire l'Union européenne.

Cette finalité, nous ne devrions jamais la confondre avec les moyens utilisés pour l'atteindre.

Nulle part plus que sur le sujet de la construction européenne, la confusion des moyens et des fins peut être désastreuse.

Les institutions, les procédures, les directives, les règlements ne sont pas des fins en soi. Ce ne sont que des moyens. Que l'on perde de vue la finalité de tout cela. Que l'Europe cesse d'être un projet de civilisation pour ne plus être que de la technique, pour ne plus être qu'un empilement de textes, de normes, de critères, et le ressort se casse.

Pour mettre d'accord 27 pays qui sont de vieilles nations chargées d'histoires, qui ont leur caractère, qui ont leurs intérêts, il faut qu'il y ait un élan. L'élan se brise quand l'objectif est perdu de vue, quand la signification de ce que l'on fait n'est plus compréhensible.

Je vais vous dire le fond de mon cœur. Ce ne sont pas les traités de paix qui font la paix entre les peuples, mais la volonté des peuples de ne plus se battre. Ce ne sont pas les traités européens qui font progresser l'esprit européen, mais l'esprit européen qui permet de conclure des traités.

Chaque fois que l'Europe a remplacé les fins par les moyens, elle a traversé une crise. Chaque fois que l'Europe ne s'est plus souciée que de son organisation et de son fonctionnement sans plus se demander au service de quel projet était cette organisation ni pour quelle cause elle était censée fonctionner, l'Europe est devenue incompréhensible et elle a suscité le rejet. L'Europe qui devait rassurer a fini par inquiéter.

Rien n'est pire que la grande machine de l'Europe quand elle donne l'impression d'être devenue sa propre fin, de ne plus fonctionner que pour elle-même, de ne plus tourner que sur elle-même, car alors elle ne peut plus faire appel à la conscience européenne pour la soutenir.

Je veux le dire ce soir à tous les Français et à tous les Européens, en prenant mes responsabilités : ce n'est pas le "non" au référendum des Français et des Néerlandais qui a mis l'Europe en crise. C'est la crise de l'esprit européen qui a provoqué les "non" français et néerlandais et qui aurait sans doute provoqué d'autres "non" dans d'autres pays européens si ceux-ci avaient organisé un référendum.

Je veux dire à tous ceux qui sont attachés à la construction européenne et qui plaçaient beaucoup d'espoir dans la Constitution européenne, que la Constitution européenne ne pouvait pas être une fin en soi. Je veux leur dire que la Constitution européenne n'était qu'un moyen de faire avancer l'Europe, mais que la Constitution européenne n'était pas l'Europe.

Je veux leur dire que le traité simplifié sur lequel les 27 pays de l'Union se sont mis d'accord à Bruxelles le 23 juin dernier, ne marque pas du tout un recul de l'esprit européen, il témoigne au contraire du renouveau de l'esprit européen, du renouveau d'une volonté européenne commune à tous les pays membres, d'une volonté plus forte que les égoïsmes nationaux, plus forte que les susceptibilités nationales.

Le recul de l'esprit européen, cela aurait été que ceux qui avaient ratifié la Constitution ne veuillent rien entendre, ne veuillent plus se mettre autour de la table pour discuter d'un autre texte, pour chercher un autre accord.

Le recul de l'esprit européen, cela aurait été de considérer la Constitution comme une fin en soi au point de ne rien vouloir faire pour chercher à réconcilier les peuples avec l'Europe.

Le recul de l'esprit européen, cela aurait été de considérer la Constitution comme une fin en soi au point de prendre le risque de briser le rêve européen. Et je pense particulièrement au peuple français qui s'était exprimé clairement, qui avait dit "non" à la Constitution, et dont la décision devait être respectée.

A s'en tenir obstinément à une Constitution que les Néerlandais et les Français avaient rejetée et que tant de citoyens européens regardaient avec méfiance, on aurait mis l'Europe dans une impasse et on aurait trahi l'idéal européen.

Il faut chercher la cause de l'échec de la Constitution européenne non pas tant dans la Constitution elle-même que dans l'incapacité, depuis trop longtemps à faire partager les finalités de l'Europe par les peuples, à donner du sens à cette union difficile, compliquée, qui doit surmonter tous les jours d'innombrables obstacles.

La cause de l'échec, il faut aller la chercher dans ce sentiment de plus en plus répandu que la construction européenne, ce n'était plus l'accomplissement d'un destin commun, mais la mise en place d'un réseau de plus en plus serré de contraintes.

Il faut aller la chercher dans la perception de l'Union non plus comme l'expression d'une volonté commune, mais comme l'alibi de tous les renoncements.

La cause de l'échec de la Constitution et de la crise de l'Europe, il faut aller la chercher dans cette grande dérive vers la dépolitisation de l'Europe qui voulait partout remplacer la décision politique par des règles, par des normes, par des procédures, qui voulait partout substituer l'expertise technique à la volonté politique, qui voulait partout faire prévaloir le choix technique sur le choix politique.

C'est cette dérive, bien éloignée de l'esprit des pères fondateurs, bien loin de l'idéal de MONNET et de Schuman, qui a été sans doute la cause principale des difficultés auxquelles s'est heurtée la construction européenne depuis des années.

Au lieu de dire aux peuples : "voilà ce que nous pouvons faire ensemble de grand", on leur a répété inlassablement : "nous n'y pouvons rien", et en plus, on leur a dit que c'était à cause de l'Europe. Il ne faut pas s'étonner que cela soit mal fini.

Cette dépolitisation de l'Europe qui conduisait fatalement à un renoncement européen était d'autant plus dangereuse qu'elle plaçait l'Europe dans l'obligation de subir au lieu de la mettre en capacité d'agir dans un monde où tous les autres continents défendent vigoureusement leurs intérêts. Faire de l'Europe la victime expiatoire de la mondialisation et la variable d'ajustement des stratégies de tous les autres, n'était pas la meilleure façon de fortifier l'esprit européen.

L'Europe a souffert. Elle a souffert d'une grande confusion des fins et des moyens qui l'a privée de politique. Et si le sommet de Bruxelles, le dernier, a été si important, c'est d'abord parce qu'il marque le retour de la politique dans la construction européenne. L'Europe doit être l'affaire des politiques, c'est-à-dire de femmes et d'hommes qui assument leurs responsabilités, qui les prennent et qui rendent des comptes, qui sont élus et qui sont battus si les comptes qu'ils rendent ne satisfont pas le peuple.

L'Europe n'est pas une machine qui tourne à vide. L'Europe, c'est une volonté politique où chacun doit comprendre où l'on va. Pour la première fois depuis longtemps, à Bruxelles, la politique a fait que l'on a attaché aux fins plus d'importance qu'aux moyens.

On a fait de la politique dans ce sommet européen, au sens le plus élevé du terme.

On l'a fait en reconnaissant que la Constitution n'était pas une fin en soi et en acceptant de se mettre d'accord sur un traité simplifié.

On l'a fait en reconnaissant que la concurrence était un moyen et non une fin.

On l'a fait en reconnaissant la protection des citoyens comme une finalité de l'Union.

On l'a fait en reconnaissant la spécificité des services publics.

On l'a fait en donnant force de loi à la Charte des droits fondamentaux.

Ici à Strasbourg le 21 février, j'ai proposé un traité simplifié pour que les Européens puissent à nouveau parler ensemble, décider ensemble.

Cela paraissait impossible. Et cela s'est produit. Il y a eu de la part de tous les dirigeants politiques de l'Europe, socialistes ou non, du nord ou du sud, de l'est et de l'ouest, une envie de sortir du blocage. Et cette envie, elle est profondément noble parce qu'elle est politique. Il y a eu de la part de tous les chefs d'Etat et de gouvernement européens une prise de conscience des enjeux qui a poussé chacun à dépasser les jeux de rôles diplomatiques, les conformismes de la pensée, les postures qui condamnaient l'Europe à la paralysie politique et qui laissaient le champ libre aux bureaucraties.

Le sommet de Bruxelles a bien sûr été un grand succès pour la présidence allemande. Mme MERKEL a fait un travail remarquable. Il a été un succès pour la France.

Mais ce succès auquel bien peu croyaient il y a quelques mois n'est pas le succès de tel ou tel pays.

C'est le succès des 27.

C'est le succès de l'esprit européen qui a poussé chacun à faire des concessions plutôt qu'à risquer d'être celui qui briserait le grand rêve de l'unité européenne.

C'est le succès de la volonté politique contre l'esprit d'abandon et de renoncement.

Cela faisait deux ans que cela ne bougeait pas. En quelques semaines, cela s'est remis à bouger.

Une conférence intergouvernementale va se réunir pour prévoir les détails et les modalités de mise en œuvre de ce qui a été décidé. Puis interviendra la ratification par les Parlements nationaux sous la forme non d'une nouvelle Constitution mais d'amendements aux traités existants.

Dès 2009, l'Europe sera dotée d'institutions nouvelles : un président stable, un Haut représentant de l'Union européenne pour les Affaires étrangères, la reconnaissance juridique de l'Eurogroupe, un véritable contrôle des Parlements nationaux sur les propositions de la Commission pour faire respecter le partage des compétences entre l'Union et les Etats membres, le vote à la majorité qualifiée étendu à de nombreux domaines au lieu de la règle de l'unanimité forcément paralysante dans une Europe à 27, le renforcement du rôle du Parlement européen, qui fait de Strasbourg la capitale parlementaire de l'Europe, la double majorité qui permettra de corriger les insuffisances du Traité de Nice et qui entrera en vigueur en 2014

Il s'agit de réformes capitales.

Grâce au président stable du Conseil européen, élu pour un mandat de 2 ans ½ renouvelable une fois, l'Union aura un visage, l'Union aura une volonté propre, l'Union aura une continuité dans l'action au lieu de changer de président tous les 6 mois. Grâce à un Haut représentant, l'Europe pourra enfin parler d'une même voix face aux grandes puissances mondiales. Il ne s'agit pas de remplacer les diplomaties nationales par une diplomatie européenne. Mais il s'agit que lorsque les gouvernements européens se mettent d'accord, une seule personne agisse en leurs noms au lieu de trois, aujourd'hui.

Le vote à la majorité qualifiée permettra de décider et d'agir. Je pense à la coopération contre la criminalité. Je pense à la politique de l'énergie en Europe, dont nous avons tellement besoin. Je pense à la politique d'immigration européenne, dont nous avons tellement besoin. Dans ces domaines si essentiels, l'Union va sortir de la paralysie.

Le nouveau traité, en reconnaissant à l'Eurogroupe un véritable pouvoir de décision, jette les bases du futur gouvernement économique de la zone euro.

Les Parlements nationaux, Mesdames, Messieurs les Parlementaires, pourront contrôler les propositions de la Commission, pourront vérifier qu'elles sont conformes au principe de subsidiarité. Ainsi l'Europe pourra décider, l'Europe pourra fonctionner.

Quand on ne voyait que la machine à produire des normes, à édicter des règles, à fabriquer des jurisprudences, il n'y avait pas d'urgence. La machine tournait.

Mais quand on regardait sous l'angle politique, il y avait urgence. Car nulle machine administrative, technocratique, judiciaire ne peut tourner longtemps sans la légitimité, sans l'adhésion, des valeurs, des objectifs, des idéaux partagés.

Je le dis parce que je le pense. L'Europe était en péril, minée par des crises à répétition, minée par la défiance des peuples, minée par le doute. Je crois qu'aujourd'hui, l'Europe est sauvée.

Non pas seulement parce qu'elle peut mieux fonctionner, mais parce que s'est exprimée une volonté pour qu'elle ne meure pas. Parce que pour la première fois dans un sommet européen, depuis bien longtemps, on a accepté, chose extraordinaire, de s'interroger sur les finalités de l'Europe. Parce que, pour la première fois depuis bien longtemps, les dogmes sur lesquels l'Europe avait pris l'habitude de fonctionner sans se poser de question, ont été remis en cause, parce que pour la première fois, il n'y a eu aucun de ces débats interdits qui stérilisent depuis si longtemps la pensée européenne. Comme si, à chaque fois que l'on parlait de l'Europe, on n'avait plus le droit de rien dire.

La plus grande réussite de ce sommet, c'est que la politique a repris ses droits. A commencé de s'opérer cette improbable synthèse entre les partisans du "oui" et ceux du "non". Au désenchantement des peuples qui montait vis-à-vis d'une Europe qui semblait ne tenir aucune de ses promesses, au repli sur les identités nationales qui s'installait face à la perte des repères et du sens, au retour des nations qui partout dans le monde exprime quoi : le besoin de protection ; la synthèse entre l'Europe du "oui" et celle du "non", c'est la seule solution raisonnablement opposable. Il n'y avait pas, d'un côté, les intelligents qui avaient tout compris et, de l'autre, les obtus qui n'avaient rien compris. Il y avait des gens inquiets qui exprimaient un besoin de protection.

Par synthèse, je ne veux pas dire la recherche du juste milieu entre le "oui" et le "non". Je veux dire le dépassement des contradictions. Cette synthèse, elle se trouve dans la vision d'une Europe qui se donne les moyens d'agir et de se protéger.

La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe qui, renonçant à toute naïveté, se donne les moyens d'agir, de lutter contre tous les dumpings, d'instaurer, ce n'est pas un gros mot, une préférence communautaire, de mettre en œuvre des politiques industrielles. Nous avons créé l'Europe pour que l'on garde des usines, des industries sur le territoire de l'Europe, pas pour que nous les regardions partir vers d'autres continents en restant les bras croisés sans rien faire. L'Europe, ce n'est pas cela.

La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe, j'ose le mot, qui n'accepte pas la désindustrialisation, qui ne reste pas les bras croisés devant les délocalisations, qui ne se soumet pas à la pseudo-dictature des marchés.

La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe qui n'est pas malthusienne mais qui est capable d'investir massivement dans les activités de demain, dans les infrastructures, dans la formation, dans la recherche.


La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe où l'euro sera enfin mis au service de la croissance et de l'économie. Nous n'avons pas créé la deuxième monnaie du monde pour être les seuls à ne pas s'en servir.

La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe qui évite par tous les moyens en son sein la course sans fin au moins disant fiscal et au moins disant social.

La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe qui maîtrise l'immigration, où nul ne peut décider de régularisation massive sans l'accord des autres.

La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe qui respecte les nations, qui veut qu'elles coopèrent, qu'elles s'unissent, qu'elles délèguent une partie de leur souveraineté, mais qui ne veut pas qu'elles disparaissent, qui ne veut pas se construire contre elles.

La synthèse entre le "oui" et le "non", c'est une Europe où les nations ont leur place, où elles ont leur rôle, où la nation pour l'essentiel continue à servir le cadre à la démocratie, c'est une Europe qui respecte la subsidiarité, c'est une Europe qui ne fait que ce que les nations ne peuvent pas bien faire, c'est une Europe qui demeure fondamentalement une Europe de nations exerçant en commun leur souveraineté.

La synthèse entre le "oui" et le "non", c'est une Europe qui refuse la mondialisation sans règle. Je l'ai dit au G8, devenu G24 en présence de M. LAMY : c'est une Europe qui s'ouvre à la mondialisation et au libre-échange, mais dans la réciprocité. C'est, par exemple, une Europe qui n'accepte pas que les Etats-Unis obtiennent à l'OMC une dérogation pour soutenir les PME et que cette dérogation que l'on a accordée aux Etats-Unis, on ne la consente pas dans les mêmes conditions pour l'Europe. Ce n'est pas de la concurrence loyale.

La synthèse entre le "oui" et le "non", c'est l'Europe qui se tourne vers le sud, qui tend la main à l'Afrique et qui s'investit pleinement en Méditerranée, c'est l'Europe qui est prête à faire de la Méditerranée le pivot d'une grande union eurafricaine, c'est l'Europe qui, à côté de Barcelone et du dialogue Euro-méditerranée, soutient et encourage l'union de la Méditerranée, parce que c'est son avenir.

C'est une Europe puissance, dans une Europe démocratique, c'est une Europe qui renoue avec la philosophie de ses pères fondateurs quand ils ont inventé la communauté européenne du charbon et de l'acier, le marché commun, la politique agricole commune. Chaque Européen savait alors à quoi servait l'Europe.

A cette époque, on se réunissait pour exprimer une volonté collective à travers une politique commune. Depuis, on a trop souvent pris l'habitude de se réunir et la réunion devient un événement. A quoi bon se dire des choses à la réunion, puisque c'est la réunion qui compte ? Et dans cette réunion, on décide comment ne plus faire aucune politique, comment interdire à quiconque de prendre le risque de décider. J'étais très étonné. On m'a dit : "Oh, la, la, vous allez renouveler les débats !" Je n'ai rien renouvelé du tout. Je me suis assis à ma chaise et j'ai dit ce que je pensais. Je ne pensais pas que c'était si nouveau que cela de dire ce que l'on pense à la table du conseil européen. C'est pourtant notre devoir. Je voudrais vous dire, je refuse ces communiqués interminables où moins on en a fait, plus on en dit : huit pages de communiqués ! Ici, je parle sous le contrôle, sans avoir aucun risque d'être démenti. De tous les parlementaires qui ont exercé des fonctions de ministre un jour, de gauche ou de droite, combien de fois se sont-ils dits dans les Conseils des ministres européens : "qu'est-ce que je fais là ? Est-ce que j'ai compris ce qu'il y avait dans le texte que l'on sort ?" Oui, vous avez sans doute tout compris. Ce n'est pas mon cas. En tous les cas, j'ai compris une chose, c'est que l'on s'occupait des petits sujets pour refuser de s'occuper des grands. Voilà ce que j'ai compris et depuis bien longtemps. Et cela, je ne l'accepte plus. Oui, il y a des grands sujets, des très grands sujets.

La synthèse entre le "oui" et le "non", elle se trouve dans une Europe qui a des frontières, une Europe, je veux le dire, qui ne se dilue pas en s'élargissant sans fin. Je le dis comme je le pense. Les vrais Européens, ce sont ceux qui croient à l'Europe intégrée, c'est-à-dire une Europe qui a des frontières, qui ne devient pas à force d'élargissements successifs, une sous-région de l'ONU. Les vrais Européens veulent rester fidèles au Traité fondateur.

Le Traité simplifié exprime cette synthèse. C'est un premier pas. Mais c'est un pas décisif.

Avec ce Traité, il est clair que l'Union n'a pas vocation à devenir un super Etat, un seul pays, une seule nation, un seul peuple. Ainsi, la voie est désormais ouverte à un travail urgent et nécessaire sur les identités nationales au sein de l'Union. Travail urgent parce que les souverainetés sont devenues confuses et parce que les identités sont malades. Il suffit de se souvenir du charivari qu'a provoqué le mot identité nationale lors de la campagne. Dire que la France a une identité nationale, ce n'est quand même pas un gros mot.

En renonçant à la démarche constitutionnelle, on revient à la logique des traités. Cela signifie que tout l'acquis communautaire est préservé, et cela veut dire que le compromis du Luxembourg reste en vigueur.

C'est essentiel. C'est le signe qu'au-delà de toutes les délégations qu'une nation peut consentir, chacune garde la maîtrise ultime de son destin. C'est le signe que l'Europe est fondée sur le partage et non sur l'abandon.

C'est essentiel parce que l'Europe pour réussir doit être comme la nation selon MICHELET : un plébiscite de tous les jours, le fruit d'une volonté sans cesse renouvelée, sans cesse réaffirmée, de s'unir, de vivre ensemble, d'agir ensemble, et non un carcan dont chacun serait le prisonnier. L'Europe pour réussir doit se bâtir sur le libre-arbitre des peuples.

Pour que l'Europe existe, il ne faut pas que les nations soient privées de leur liberté. Il faut qu'elles s'aiment, il faut qu'elles se comprennent pour passer au-dessus de leurs divergences. C'est ce qui s'est passé à Bruxelles. Et c'est d'autant plus important que l'on a pu rouvrir la discussion sur l'essentiel, c'est-à-dire sur les valeurs qui sont le fondement de tout. On me l'a reproché, et pourtant je me suis battu.

Pour retirer symboliquement la concurrence libre et non faussée des objectifs de l'Union, le traité ne modifie pas le droit européen mais il ouvre une brèche pour les débats à venir. Débats urgents, débats nécessaires parce que je veux que la concurrence cesse d'être une religion, pour que la quête de la concurrence parfaite cesse d'être l'unique horizon des politiques européennes. L'Europe a trop reculé. La concurrence est un moyen, ce n'est pas une fin en soi. On ne fait pas l'Europe pour avoir la concurrence. On fait l'Europe pour avoir la croissance. On fait l'Europe pour avoir la paix. On fait l'Europe pour avoir le plein emploi. Mais qu'est-ce que cela veut dire faire l'Europe pour avoir la concurrence ? Cela ne veut rien dire du tout, en tout cas, si on a une vision politique de l'Europe. Oui, je le dis, l'Europe a trop reculé. L'Europe a trop perdu de temps sur l'Amérique qui ne s'embarrasse pas de tous ces détails, sur l'Asie, qui se moque de tous ces détails. L'Europe ne peut plus attendre. Pour que des champions nationaux et européens puissent émerger, pour que les prédateurs du monde entier n'aient pas le champ libre en Europe, pour que lorsqu'il s'agit de sauver une entreprise comme Alstom, les Etats puissent avoir le soutien de la Commission au lieu de l'avoir comme adversaire parce que les dogmes de la concurrence parfaite s'opposent à tout intervention publique. Je ne l'accepte pas. Que les choses soient claires, je le dis aux parlementaires européens qui sont ici, je veux rendre un hommage signalé au Président BARROSO, parlant sous le contrôle de Jean-Pierre JOUYET, qui, pendant ce sommet, a joué un rôle essentiel et avec qui nous nous sommes parfaitement entendus. Mais il est invraisemblable qu'en 2004, lorsqu'il s'est agi de sauver Alstom, j'ai du combattre contre la Commission, alors que la Commission aurait du m'aider parce que c'était une grande entreprise française et européenne, c'était des dizaines de milliers d'emplois. C'est aujourd'hui la première réussite industrielle française.

Certains juristes ont prétendu que retirer la concurrence libre et non faussée des finalités de l'Union, inscrire la protection, ne pas mentionner la primauté du droit communautaire sur le droit national, cela n'avait pas de portée juridique parce que c'est inscrit dans d'autres textes. Mais, justement, parce que c'est inscrit dans d'autres textes, ce n'était pas la peine de les rajouter. Mais si cette victoire n'est pas juridique, elle est néanmoins d'une grande portée symbolique et politique. Elle montre que les lignes bougent en Europe. Si l'on veut un jour changer le droit, il faut commencer par changer de politique. C'est ce qui s'est passé. Et cela aura des conséquences profondes dans la durée. Car c'est l'annonce, qu'on le veuille ou non, d'un changement de comportement et de mentalité. Vous vous rendez compte ! Le vendredi matin, Jean-Pierre m'a dit : "oh la la cela va aller mal !". On avait la Une du Financial Times, qui nous accusait de vouloir remettre en cause la concurrence et Jean-Pierre m'a dit : "on aurait du mal à gagner avec cela !" Eh bien, on a gagné, Jean-Pierre. Parce que je pense à une chose, moi, c'est que derrière il y a des dizaines et des dizaines de milliers d'emplois et de gens qui souffrent. Nous n'avons pas été élus pour porter un dogme. Nous avons été élus pour être pragmatiques, pour trouver des politiques efficaces, pour gagner et non pas pour appliquer un dogme.

Bien sûr que la concurrence est nécessaire, mais c'est le retour de cette approche politique qui a débloqué l'Europe.

A partir de là, l'avenir est tout tracé. Si l'on veut que l'Europe avance, qu'elle redevienne un projet partagé par tous les Européens, parce qu'ils auront le sentiment qu'au lieu de leur arracher la maîtrise de leur destin, on le leur rend, alors il faut remettre partout de la politique en Europe.

C'est l'objectif que je me fixe. Rien ne m'en détournera.

Je vais vous faire une confession : en France je vais continuer à faire de la politique. En Europe je vais faire de la politique, et sur la scène internationale je vais faire de la politique, parce que je suis un homme politique et un homme politique cela doit faire de la politique. Qu'est-ce que la politique ?

C'est exprimer une volonté la volonté du peuple qui nous a fait confiance. Partout je ferai de la politique, parce que je crois à la politique, parce que je crois à la capacité de la volonté politique à changer les choses, à infléchir le cours des événements. Nous ne sommes pas que des bouchons de liège sur une mer déchaînée. Si nous ne pouvons rien sur rien, alors pourquoi se présenter aux élections ? Il fallait mieux rester chez nous. Moi je pense que l'on peut tout si on a la volonté de mettre en œuvre une grande politique. D'ailleurs j'ai été élu pour cela, et peu m'importe que l'on dise : "oh là là, cela fait un mois et demi qu'il est là, il prend tellement de risques". Qu'est-ce que l'on croit ? Que mon but c'est de me cacher, que mon but c'est de me dissimuler, c'est de lever les mains en disant : je n'y peux rien, vous m'avez élu pour regarder la partie comme un arbitre. On m'a élu pour quoi ? Pour agir, pour réaliser, pour faire des choses, pour prendre mes responsabilités, pour faire des choix, et si cela marche, pour continuer, et si cela ne marche pas, il faut que je vous explique pourquoi cela n'a pas marché. La fonction de Président de la République n'est pas une fonction d'expert, une fonction éloignée des réalités, détachée de l'action, se tenant à distance des sentiments et des passions humaines. Président de la République c'est une fonction où il faut à mon sens prendre le réel à bras-le-corps, où il faut mettre tout son cœur, où il faut mettre toute son âme, où il faut mettre toute sa raison, toute son énergie pour agir, pour bousculer les habitudes, les routines, les idées reçues, pour rendre possible le changement. Si ce n'est pas le Président de la République élu qui le fait, qui le fera ? Personne.

Mes chers amis, je ne me résigne à rien, je ne me résigne pas à ce que l'Europe soit bureaucratique et technocratique, je veux qu'elle soit démocratique, je veux qu'il y ait de la responsabilité politique, je veux que les responsables politiques arrêtent de se cacher derrière une bureaucratie pour s'excuser de leur lâcheté, voilà ce que je veux pour l'Europe. Je veux que l'on arrête d'en faire un bouc émissaire. Je veux prendre des initiatives fortes. Je veux parler avec nos partenaires avec franchise. Je veux leur parler comme un homme politique élu qui parle à un autre homme politique élu et non comme à un diplomate qui parle à un diplomate, un expert à un expert, un technicien à un technicien et à la fin pressés de parler, baillant d'ennui, ils se disent nous avons beaucoup travaillé, on remet cela au lendemain. Ce n'est pas cela l'Europe. Je veux vous rendre des comptes comme je le fais ce soir, comme je le ferai tout au long de ces cinq années car je crois à l'Europe, je crois à la politique. J'irai moi-même l'expliquer dans quelques jours avec Christine LAGARDE, et vous savez que c'est pour moi un grand honneur d'avoir comme ministre des Finances une femme. Quand vous pensez que c'est la première fois dans l'histoire de la Ve République qu'une femme est ministre des Finances. Il a fallu attendre 2007 ! J'irai avec elle à l'Eurogroupe expliquer la stratégie budgétaire, économique et fiscale de la France parce que, cette explication, la France la doit à ses partenaires. C'est une question de respect, c'est une question de confiance. C'est le témoignage le plus fort qui puisse être donné de l'engagement européen de la France et de sa volonté de fonder l'Europe sur la volonté et sur la sincérité. A ceux qui seront surpris que le Président de la République aille s'expliquer devant les ministres des Finances de la zone euro.

Je veux dire que l'on ne peut pas réclamer un gouvernement économique pour la zone euro, que l'on ne peut pas réclamer que la politique ait davantage son mot à dire sur l'économie et sur la monnaie et ne pas s'engager au plus haut niveau politique.

Je veux que la France prenne ses responsabilités et je souhaite aussi que tous les Européens prennent la mesure de leur propre responsabilité face à l'Histoire.


Je veux ouvrir tous les débats, je veux poser toutes les questions, je veux évoquer tous les problèmes.

Je veux poser la question des dumpings monétaires, des dumpings sociaux, des dumpings écologiques.

Comment voulez-vous que l'on continue comme cela ? Nos entreprises doivent faire la compétition avec des pays qui se moquent de l'équilibre de l'environnement, qui ne respectent aucun droit social et qui pratiquent le dumping fiscal. Qui peut me dire que c'est cela la concurrence ? Cela c'est la déloyauté, ce n'est pas la concurrence.

Je veux poser la question de la préférence communautaire comme aux Etats-Unis. Cela fait bien longtemps qu'ils ont établi une fiscalité qui est plus favorable aux produits fabriqués aux Etats-Unis plutôt qu'aux produits fabriqués en Asie.

Je vous demande une minute d'attention. Je vais vous dire quelque chose de grave. Je peux poser la question de la surélévation de l'euro. Est-ce que l'on va pouvoir continuer à fabriquer des avions sur le continent européen alors qu'à chaque fois que l'euro s'apprécie de 10 centimes, Airbus a un déficit d'un milliard ? Je n'accepte pas cette politique parce que, mes chers amis, regardez ce que font les Américains avec le dollar, regardez ce que font les Chinois avec Yuan, regardez ce que font les Japonais avec le Yen. Je dis simplement que, quand le dollar perd 33% par rapport à l'euro, comment voulez-vous que nos entreprises puissent retrouver dans la productivité ce qu'elles ont perdu, de façon déloyale, dans la gestion politique des autres monnaies du monde ? J'ai voté pour l'euro, je crois dans l'euro. Mais enfin, la monnaie n'est pas un sujet tabou. La monnaie, je veux qu'on la mette au service de la croissance, de l'emploi, de vos enfants, de votre emploi, du plein emploi en Europe. Je ne veux pas que l'on en fasse un sujet dont seuls peuvent parler les banquiers.

Je me posais la question des politiques industrielles.

Je me posais la question du droit de la concurrence comparé à ce qui se pratique hors d'Europe.

Je veux poser la question de la pérennité de la politique agricole commune et de l'indépendance alimentaire de l'Europe. A quoi sert-il d'imposer à nos agriculteurs la traçabilité, la sécurité alimentaire, si l'on peut importer en Europe des produits dont on ne peut assurer et garantir ni la traçabilité ni la sécurité alimentaire ? Le jour où nous n'aurons plus d'agriculteurs, c'est l'indépendance alimentaire de l'Europe qui aura été perdue. Qu'est-ce que l'on dira sur la sécurité des consommateurs ? Moi, je ne vais pas à la table du Conseil européen avec mon béret et ma baguette. J'y vais pour défendre la sécurité alimentaire et l'indépendance alimentaire de tous les Européens. Tous les Européens ont besoin que vive une agriculture européenne, puissante, moderne, équilibrée, c'est cela la réalité. D'ailleurs, j'ai dit au Président BUSH : "je vous félicite, Monsieur le Président, de défendre les agriculteurs américains. Je ferai exactement la même chose pour les agriculteurs européens".

Je veux poser la question de la politique européenne du développement durable et de la fiscalité écologique. Si enfin on décidait tous ensemble, en Europe, que les produits propres bénéficient systématiquement du taux de TVA réduit.

Je veux poser la question de la règle de l'unanimité pour la baisse de la TVA alors qu'elle n'a aucune incidence sur la concurrence entre les Etats membres. Comment se fait-il que tel ou tel pays doit porter à zéro le taux de l'impôt sur les bénéfices et que nous, la France, il faille attendre l'accord unanime de tous les partenaires pour réduire de quelques points la TVA sur un secteur ? La règle doit être la même. Soit on peut faire dans son coin sur l'ISF, alors on doit pouvoir faire dans son coin sur la TVA. Il ne peut pas y avoir deux poids et deux mesures dans l'Europe que je souhaite.

Je veux poser la question de l'effort de défense au regard de l'esprit du Pacte de stabilité. Bien sûr que la France, l'Allemagne, l'Italie et la Grande-Bretagne portent un effort de défense considérable mais est-ce que l'on va pouvoir continuer longtemps à avoir 4 ou 5 pays en Europe qui assurent la sécurité de tous les autres et de respecter les mêmes règles de déficit alors que tant d'autres n'ont pas les budgets de défense que nous avons ?

Je veux poser la question cruciale des frontières de l'Europe. Car, sans frontières, il n'y aura pas d'identité européenne et il n'y aura pas non plus de puissance européenne, parce que la volonté européenne sera condamnée à se diluer sans cesse. En évoquant les frontières, je pense à tous ces pays qui sont les voisins de l'Europe et avec lesquels l'Europe doit construire des liens particuliers mais, je le dis, qui n'ont pas tous vocation à devenir membre à part entière de l'Union.

Le moment est venu d'engager un réflexion à 27 pour dire : qu'est-ce que c'est que l'Europe ? C'est quels critères l'Europe ? Sur quels principes elle se définit ? Je veux que l'on aille plus loin. Je veux que l'on soit plus clair. Je ne veux plus qu'il y ait de malentendus, où tout le monde pense quelque chose là derrière, et dit autre chose là devant. Car c'est cela la réalité et ce n'est pas la peine de dire aux Français : "ne vous inquiétez pas, cela ne se fera pas". Si cela ne se fait pas, il n'y a qu'à le dire. Moi, je ne veux pas de malentendus. Je veux que l'Europe applique aussi aux relations avec ses voisins les principes dans lesquels je crois, des principes de vérité, de sincérité car sans vérité, sans sincérité, il n'y a pas d'amitié réelle. Je veux aller au-delà. L'Europe, ce n'est pas que la monnaie, ce n'est pas que la discipline budgétaire, ce n'est pas que le droit de la concurrence, ce n'est pas que des frontières, ce n'est pas que la pondération des votes. L'Europe, c'est un projet de civilisation.

L'Europe a besoin d'une nouvelle Renaissance. Elle a besoin de créer les conditions de cette Renaissance.

Elle a besoin de créer ce climat psychologique, intellectuel, moral grâce auquel, au sein de nos vieilles nations, chacun aura de nouveau l'intuition que tout est possible, qu'il peut réaliser ses rêves, que les possibilités de l'aventure humaine sont infinies, grâce auquel renaîtra la foi dans l'avenir et la confiance en soi.

C'est par le savoir, par la connaissance, par l'éducation, par la culture, par l'école, par l'université, par la recherche, que cette Renaissance commencera et qu'elle soulèvera toute la jeunesse européenne.

Au milieu des contraintes de toutes sortes, des difficultés et des grands bouleversements du monde, il faut à la France et à l'Europe une politique de civilisation. A mes yeux, elles sont indissociables, et le plus grand défi au fond pour nous tous, c'est d'être capable de les imaginer et de bousculer tous les conservatismes pour les mettre en œuvre.

Le plus grand défi, c'est d'imaginer des politiques capables de remettre partout de la vie, de la création, de l'innovation, de l'esprit de conquête. Parce que c'est cela qui manque à l'Europe d'aujourd'hui.

Il y a en Europe toutes les forces de l'esprit, toutes les énergies pour que ce miracle s'accomplisse. Il nous reste à les mobiliser.

Comme toujours dans l'Histoire, cette Renaissance tient sans doute à peu de choses : un peu d'audace, un peu d'intelligence, un peu de cœur, le plus dur, un peu de courage, un peu difficile, le plus compliqué, prendre des risques.

L'Europe sera une réalité quand elle aura trouvé en elle ce peu d'audace, d'intelligence, de cœur et de courage qui lui permettra de nouveau d'étonner le monde.

L'Europe le peut si elle le veut.

Le veut-elle vraiment ? De la réponse à cette question dépend tout notre avenir, celui de nos enfants, celui des générations futures et, oserai-je le dire, celui de la civilisation mondiale, car la civilisation mondiale n'aura pas le même visage selon que l'Europe aura ou non accompli sa Renaissance.

Mes chers compatriotes, une tâche immense nous attend. Elle est pleine de difficultés mais elle est exaltante. Nous l'accomplirons si nous savons nous ouvrir aux autres, si nous acceptons, je le mesure chaque jour, la différence comme une richesse et la diversité comme une chance.

Voilà ce que je voulais vous dire ce soir.

La France est de retour. Elle est de retour en Europe sans que la volonté que le peuple a exprimée lors du référendum sur la Constitution ait été trahie. Ce n'était pas facile. Il fallait faire revenir la France au cœur de l'Europe, faire redémarrer l'Europe sans trahir le message des Français.

J'ai dit pendant la campagne que je voulais vous rendre la fierté de la France, et je crois que chacun d'entre vous peut être fier du rôle que notre pays a joué dans la relance de la construction européenne. Et c'est avec la même ferveur que je veux vous dire ici, à Strasbourg, mes chers amis :


Vive l'Europe !

Vive la République !

Et vive la France !

Strasbourg, le lundi 2 juillet 2007

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