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Thursday, July 19, 2007

*** 2007, le grand été de l'art ***

*** Il y a cet été trois grandes expositions d'art contemporain : la Documenta, la Biennale et les Skulpturprojekte. Un aperçu de la presse européenne montre que l'espoir d'assister à un inventaire de la création artistique contemporaine a été déçu. Ce que l'on considère aujourd'hui comme un "bon" art est sujet à controverse.

"C'est la plus mauvaise exposition que j'ai jamais vue", écrivait le critique britannique Richard Dorment à propos de la Documenta 12 de Kassel, dans le Daily Telegraph du 20 juin 2007. "Grâce à la Documenta, on peut à nouveau appréhender l'art", s'extasiait au contraire Thomas Wagner dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 16 juin 2007.

Il est rare qu'une exposition ait autant divisé les critiques du monde entier que la Documenta de Kassel cette année. Il faut dire que cette exposition quinquennale a l'ambition de dresser un inventaire de l'art contemporain. Elle constitue depuis 52 ans l'une des plus importantes expositions d'art au monde. "Où en est l'art aujourd'hui ? Où en sommes-nous aujourd'hui ?", s'interrogeait son fondateur Arnold Bode, professeur d'art à Kassel, lors de la première Documenta, à peine dix ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il semble aujourd'hui impossible de répondre à cette question, tant il est devenu difficile d'avoir une vue d'ensemble du paysage artistique.

Le quotidien britannique Independent a qualifié la saison 2007 de "Super été de l'art en Europe", puisque deux autres grandes expositions ont ouvert parallèlement à la Documenta. Münster propose ses Skulpturprojekte : tous les dix ans depuis 1977, la ville expose des sculptures dans les lieux publics. Et peu de temps auparavant c'était la Biennale de Venise qui ouvrait ses portes au public. Cette manifestation qui a lieu tous les deux ans a également pour vocation de présenter un panorama de l'art mondial contemporain. Elle fut inaugurée en 1895 selon le modèle de l'Exposition universelle qui avait eu lieu à Paris en 1867 : à Venise aussi, il y a une exposition centrale et des pavillons nationaux.

Les critiques sont de plus en plus nombreux à estimer que ce ne sont plus les grandes expositions ni leurs commissaires qui fixent les nouveaux canons, mais le marché. Est-ce qu'une foire internationale comme Art Basel – qui a ouvert peu après la Biennale, la Documenta et les Skulpturprojekte – propose donc un meilleur inventaire ?

Bâle : valeur marchande et index canonique

Dans un article publié par le quotidien suisse Le Temps, le 18 juin 2007, à l'occasion de Art Basel, Laurent Wolf a constaté une rupture : "Autrefois les seules expositions mondiales étaient la Biennale de Venise et la Documenta de Kassel. Les galeries opéraient sur des marchés régionaux où se déplaçaient les grands collectionneurs. Les artistes et les grandes institutions avaient encore l'initiative." La situation a changé : le marché de l'art s'est mondialisé.

L'historien d'art Beat Wyss est même allé un peu plus loin, dans le Süddeutsche Zeitung du 3 juillet 2007, en soutenant que le marché de l'art prenait de plus en plus la place des grandes expositions et que celles-ci avaient perdu leur fonction canonisante : "On parle toujours de la Documenta comme de la plus grande manifestation artistique – mais cela n'est plus que le vieux pieu d'un monde qui s'attache à de vieilles croyances. Avec ses cinq halls d'exposition et ses 113 artistes, elle fait pâle figure derrière Art Basel, où 300 galeries présentaient cette années 2000 artistes différents. Et des artistes de premier choix [...] La foire de l'art est devenu un index canonique."

Et Rose-Marie Gropp écrivait le 12 juin 2007, dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, que Art Basel ne peut pas "se permettre de montrer les choses exténuées qui s'exposent actuellement à Venise ; elle veut et elle doit vendre. C'est la raison pour laquelle elle risque de devenir une contrepartie face à cette structure anémique que sont devenues les expositions ; car tous les participants à la foire ont gardé leurs meilleures pièces pour les montrer à Bâle – le Grand Tour oblige." Sa conclusion : Art Basel est une "Biennale améliorée".

Venise : des artistes épuisés

D'autres journalistes européens, cependant, expliquent ces "choses exténuées" présentées à Venise par l'effet négatif que le marché exerce sur l'art en tant que processus créatif.

En observant tous les yachts amarrés dans la lagune, la critique d'art britannique Charlotte Higgins a écrit dans le Guardian du 28 juin 2007 : "Un événement comme la Biennale de Venise a de moins en moins à voir avec l'art et de plus en plus avec les propriétaires de ces yachts". La glamourisation de la scène artistique menacerait "la gravité et la lenteur" du travail artistique.

Vincent Noce écrivait dans son compte-rendu de la Biennale pour le quotidien Libération, le 11 juin 2007 : "Jamais il n'y eut autant d'argent brassé autour de l'art vivant." Niklas Maak s'est également déclaré peu convaincu par ce qu'il a vu à Venise, estimant dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 8 juin 2007 que le boom du marché de l'art nuisait à l'autonomie de l'art : "Le problème n'est pas, comme autrefois, qu'on s'y intéresse trop peu, mais au contraire qu'on s'y intéresse trop. Les artistes et les commissaires n'arrivent plus à suivre la demande de production d'œuvres." Les artistes sont, d'après Niklas Maak, "épuisés par ces innombrables foires et biennales", et ne "servent que de pâles et tièdes copies de ce qu'ils ont toujours fait."

Kassel : un contrepoids à la folie du marché

A la différence de la Biennale, la Documenta 12 de Kassel a été présentée par ses commissaires Roger M. Buergel et Ruth Noack comme un contrepoids au marché de l'art. Ainsi ont-ils volontairement omis de publier la liste des artistes avant l'ouverture de l'exposition – puisque la participation d'un artiste à cette manifestation fait monter sa valeur marchande avant même la date d'ouverture. Maintenant, la presse européenne est divisée sur la question de savoir si la Documenta s'est vraiment distanciée du marché et de quelle façon. Un certain nombre de critiques d'art se demandent si la position de Buergel et Noack est valable en soi et si elle ne constitue pas justement le problème de l'exposition.

Guy Duyplat a observé dans la Libre Belgique du 19 juin 2007 que Buergel avait "volontairement adopté une démarche anti-marketing", mais qu'après "les paillettes de Venise » l'exposition de Kassel avait laissé l'impression d'une "unif un peu austère de l'art actuel". En bref, la Documenta 12 est "anti-spectaculaire".

De même, Béatrice de Rochebouet a qualifié la Documenta, dans le Figaro du 25 juin 2007, "d'université d'été de l'art contemporain". Mais elle était aussi d'avis que la 12ème édition de Kassel avait réussi à rompre avec des attentes essentiellement définies par le marché. Holger Liebs, en revanche s'est montré peu convaincu par l'exposition, comme il l'a expliqué le 16 juin 2007 dans le Süddeutsche Zeitung : "Cette manifestation fait trop souvent penser au cabinet de curiosités d'un savant un peu excentrique [...] La distance par rapport au marché de l'art n'est quand même pas une valeur en soi."

Münster : le grand gagnant de la saison

La manifestation de Münster, Skulptur Projekte a été jusqu'à présent la moins critiquée. "Une exposition exquise, avec des œuvres légèrement tâtonnantes, mais précises et intelligentes", a proclamé Henrike Thomsen dans le Tageszeitung du 16 juin 2007. Dans Le Temps du 19 juin 2007, le journaliste suisse Philippe Mathonnet juge également le choix des œuvres pertinent – à la différence de la Biennale ou de la Documenta, "où les œuvres ont été sélectionnées pour servir des propos théoriques".

Grâce à la clarté du cadre – il s'agit de sculptures exposées dans l'espace public – Münster semble avoir réussi ce que les autres expositions n'ont pas su faire : un état des lieux de l'art contemporain.

Comme l'analyse Niklas Maak dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 16 juin 2007, Münster montre combien le concept d' "espace public" et les représentations que l'on se fait d'une sculpture ont changé depuis les premiers Skulptur Projekte de 1977. Cet avis est partagé par Nikola Kuhn dans le Tagesspiegel du 18 juin 2007 : selon elle, les gagnants de l'été 2007 sont les Skulptur Projekte de Münster, "dont l'étude à long terme cherche des réponses à une interrogation précise."

Où en est l'art aujourd'hui ?

Il semble que cet état des lieux ne puisse se faire que dans le cadre d'un domaine restreint. Les expositions géantes n'en sont pas capables, il leur manque un fil rouge et leurs réponses concernant la qualité de l'art contemporain et ses enjeux restent trop partiales. Le choix des artistes divise, et la qualité des œuvres présentées ne fait pas davantage l'unanimité.

Dans le quotidien suisse Tagesanzeiger du 16 juin 2007, Barbara Bastings allait même jusqu'à qualifier la Documenta d' "emballage trompeur teinté de dadaïsme". Mais le marché de l'art, avec les sommes astronomiques qu'il brasse, ne donne guère plus de certitudes, sans compter que "cette grande frénésie artistique", comme l'écrivait Niklas Maak dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung du 14 janvier 2007, pourrait bien finir par s'évaporer un jour.

de Nina Diezemann

Eurotopics

*Documenta 12: Peter Friedl "The Zoo Story"
Photo: AP

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