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Tuesday, June 19, 2007

*Troisième Rencontre parlementaire sur le Futur de l’Europe, à Bruxelles*


*** Discours prononcé par Monsieur Frank-Walter Steinmeier, ministre fédéral des Affaires étrangères, à l’occasion de la troisième Rencontre parlementaire sur le Futur de l’Europe, à Bruxelles, le 12 juin 2007

* Monsieur le Président du Parlement européen,
Madame la Vice-présidente du Bundestag,
Monsieur le Président de la Commission européenne,
Mesdames, Messieurs,

Le futur de l’Europe a toujours reposé sur une double assise avec, d’un côté, des visions politiques qui dépassaient de loin le quotidien et tentaient de définir la voie de l’unification européenne loin dans l’avenir, et de l’autre, le fait que les cinquante dernières années ont également été marquées en Europe de beaucoup de pragmatisme et que la construction européenne a toujours été un chantier fait de modestes réussites et d’une réflexion continuelle sur les problèmes concrets spécifiques à chaque époque.

Il en est de même aujourd’hui. Comme cela a si souvent été le cas au cours des dernières décennies, nous vivons à une époque qui doit fixer des jalons importants pour le futur de l’Europe. De ce point de vue, votre réunion parlementaire porte cette année tout à fait à juste titre sur le "Futur de l’Europe", et je vous remercie de cette occasion qui m’est offerte de m’adresser à vous et de discuter avec vous en qualité de représentant de la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne.

La présidence allemande s’est fixé pour objectif d’amorcer le renouvellement efficace des bases de travail de l’Union européenne et nous ne sommes plus qu’à quelques jours d’un Conseil européen qui sera décisif dans cette question.

En même temps, les Européens doivent faire face à des questions urgentes qui ne souffrent aucun délai. Des questions auxquelles nous devons répondre maintenant. Nous ne pouvons pas attendre d’avoir ficelé la réforme des traités pour nous occuper des crises comme celles en Afghanistan, au Proche-Orient ou en Afrique. Nous devons fournir la preuve de notre détermination politique, de la capacité d’action de l’Europe et de sa fermeté politique, avant et après la réforme des traités.

Le débat sur le futur de l’Europe est donc bien multidimensionnel et c’est pourquoi je n’ai pas l’intention de me contenter de dresser devant vous un état des lieux intermédiaire des préparatifs du prochain Conseil européen.

J’aimerais au contraire commencer par aborder les visions. En quoi consiste aujourd’hui, en ce début du XXIe siècle, le rêve européen?

"Que l’Europe ressuscite!" Telle est l’invitation lancée aux Européens par Winston Churchill dans son célèbre discours à l’Université de Zurich en 1946. Il voulait donner à la famille européenne "une structure (…) de telle sorte qu’elle puisse grandir dans la paix, la sécurité et la liberté." Il songeait à "une sorte d’États-Unis d’Europe" et croyait que "ce n’est qu’ainsi que des centaines de millions d’êtres humains auront la possibilité de s’accorder ces petites joies et ces espoirs qui font que la vie vaut la peine d’être vécue".

Était-il plus facile à l’époque d’avoir des visions? Dans l’Europe meurtrie de l’après-guerre la construction européenne fut lancée comme projet de paix. Aujourd’hui, la paix et la prospérité, ces deux rêves anciens de l’Europe, sont en très grande partie devenues réalité. Des pays qui étaient autrefois des ennemis irréconciliables sont devenus de proches partenaires. Cela vaut également pour d’autres grands projets d’avenir du passé: les économies nationales cloisonnées ont constitué un marché intérieur de 500 millions de consommateurs, et la diversité complexe de billets et de pièces en circulation hier fait place dans un nombre croissant de pays de l’Union à une monnaie unique.

Et aujourd’hui? De quelle Europe avons-nous besoin? Combien d’Europe nous faut-il? Ces dernières années, les Européens sont devenus plus songeurs. L’échec des référendums sur la Constitution européenne en France et aux Pays-Bas en fournit la preuve éloquente. L’insécurité s’est répandue. Nombreux sont ceux qui trouvent que les décisions sont prises trop loin d’eux entre bureaucrates. Ils ont peur d’un "super-État" européen qui n’aiderait pas à gérer les problèmes liés à la mondialisation, mais qui, au contraire, les renforcerait.

Il s’agit là de réserves très sérieuses qui m’inquiètent d’autant plus qu’elles affaiblissent l’idée d’unification européenne à un moment où nous devons en fait l’aborder avec une audace toute particulière.

Car si nous ne nous limitons pas à nous demander à quoi doit ressembler l’Europe d’aujourd’hui, mais disons à quoi elle devra ressembler dans 20 ans, alors il nous faut avant tout considérer le monde dans lequel cette Europe se situe, un monde qui se développe à une vitesse vertigineuse et avec une dynamique sans cesse accrue. Aujourd’hui déjà, la silhouette de Shanghai et le nombre de grues de construction qui s’y trouvent nous étonnent. Aujourd’hui déjà, la Chine est la quatrième économie mondiale. Mexico, Tokyo, Le Caire, Istanbul, Lagos, São Paulo – partout surgissent des mégapoles qui semblent ne connaître aucune frontière.

Quelle sera la situation dans 20 ans? En 2025, la Chine sera probablement la deuxième économie de la planète et représentera par sa taille les six premières économies nationales de l’Union européenne prises ensemble. Et si les prévisions actuelles voient juste, un quart de siècle plus tard, en 2050, l’Inde à son tour nous dépassera de loin et deviendra la troisième économie mondiale, suivie du Brésil et de la Russie, qui se positionneront aux quatrième et cinquième rangs des économies de la planète!

En d’autres termes, les équilibres internationaux vont se déplacer, et ce déplacement sera énorme. Comment le monde s’organisera-t-il alors? On se le demande. En tout cas, une chose est sûre: aujourd’hui déjà, aucun État-nation en Europe ne peut plus défendre seul ses intérêts. Il le pourra encore moins dans 20 ou 50 ans, c’est certain, et dans quelle mesure?

La création d’une Europe unie est donc plus qu’une idée abstraite, plus qu’un beau sujet à traiter dans les pages littéraires des journaux. C’est une nécessité politique très concrète. Si nous, Européens, voulons participer à l’organisation du monde de demain – et j’ajouterai que nous avons toutes les raisons de le vouloir –, l’Europe est notre meilleure possibilité d’y parvenir. L’Europe nous a aidé à bannir les spectres funestes du passé. Nous avons besoin d’elle aujourd’hui pour assurer notre avenir. C’est à mes yeux une mission à accomplir sur le plan de l’organisation politique, une mission qui nous occupera encore dans 10, 20 ou 50 ans, même si, et je le souhaite ardemment, la réforme des traités en projet aboutit.

J’aimerais aborder ci-dessous quelques aspects qui font partie pour moi des fondamentaux de l’Europe de demain, à savoir:

la politique étrangère européenne,

le développement de la politique européenne de sécurité et de défense,

l’émergence d’une opinion publique européenne,

la valeur européenne de la solidarité et

la dimension sociale de l’Europe à l’ère de la mondialisation.

Je sais qu’une telle énumération ne peut être exhaustive, mais ce sont des domaines dans lesquels les citoyennes et les citoyens européens attendent de l’Union européenne une action particulièrement déterminée.

Mesdames, Messieurs,

Quand nous parlons aujourd’hui de la nécessité de réformer l’Europe, il est également toujours question de renforcer sa capacité d’action en politique étrangère. Cela à juste titre et pour deux raisons: premièrement, l’action extérieure européenne est d’autant plus percutante et efficace que nous parvenons à parler d’une "seule voix".

Au Proche-Orient, par exemple. Ces six derniers mois – et c’était là une priorité de la présidence allemande –, nous sommes parvenus à exercer un rôle européen actif et responsable, comme notamment les parties en conflit l’attendaient de nous. Si le Quartette pour le Proche-Orient a pu être réactivé, c’est dans une mesure tout à fait décisive grâce à l’insistance de l’Europe. Aucune des situations conflictuelles n’est, j’en conviens, résolue pour l’instant, loin s’en faut. Il n’empêche que les choses bougent.

Ce qui m’amène à mon deuxième point: partout où je me rends en visite – et je dirais qu’en ma qualité de ministre fédéral des Affaires étrangères et de président du Conseil de l’Union européenne, j’ai beaucoup voyagé en particulier ces six derniers mois –, partout, dis-je, je ressens les grands espoirs placés dans l’Europe. Peut-être aussi parce que beaucoup d’habitants de la planète souhaitent être associés d’une certaine façon à la réussite européenne, car c’est ainsi qu’elle est perçue pratiquement partout, surtout à l’étranger. Autrement dit, presque partout dans le monde, on cherche à coopérer avec une Europe qui a réussi, comme le disait en substance Carlos Fuentes récemment, "à faire de l’Histoire une possibilité et non un fardeau, et à reconnaître la diversité des cultures de même que le caractère universel des droits de l’homme".

Nous avons donc besoin d’une capacité d’action extérieure renforcée de l’Union européenne. Et nous devons la développer progressivement pour en faire une politique étrangère européenne, visible de l’extérieur et qui mette en œuvre efficacement et avec cohérence l’approche européenne dans les relations internationales, laquelle consiste à asseoir le développement et le règlement des conflits en tout premier lieu sur le dialogue et les moyens civils et à n’avoir recours aux moyens militaires que lorsque c’est absolument nécessaire.

Nous soutenons dès aujourd’hui cette approche avec notre politique européenne de sécurité et de défense. L’Union européenne a envoyé en quatre ans seulement 16 missions civiles et militaires. Il y a eu également des progrès énormes concernant la rapidité de mobilisation des forces ou le commandement des opérations. Et pourtant, si l’on songe à l’intervention au Congo ou à la participation européenne à la force de paix au Liban, les scénarios de crise internationaux exigent des réponses de plus en plus rapides et de plus en plus déterminées. Poursuivre le développement de la PESD me semble pour cette raison indispensable. Et s’agissant des visions à long terme pour l’Europe du futur, je répondrai qu’une défense européenne commune est pour moi un bon candidat.

Mesdames, Messieurs,

Presque chaque jour sont prises à Bruxelles des décisions qui se répercutent directement sur la vie des Européens, de manière positive dans la grande majorité des cas, je tiens à le préciser! En disant cela, je ne pense pas uniquement au règlement sur l’itinérance qui, après avoir été approuvé par le Parlement européen, vient également d’être adopté la semaine dernière par le Conseil et dont la conséquence est une diminution prochaine des tarifs pour les appels par téléphone portable dans toute l’Europe.

J’ai cependant l’impression que nous ne sommes pas encore parvenus à communiquer cette transformation de la réalité de telle façon qu’elle s’inscrive dans les mentalités des Européens au quotidien. D’un autre côté, je suis certain que ce décalage entre la communautarisation réelle et la perception publique est une des raisons du scepticisme manifesté ces dernières années vis-à-vis de l’Europe.

La politique ne peut pas ne pas reconnaître sa part de responsabilité dans cet état de fait: quand les choses se gâtent, les responsables politiques nationaux rejettent volontiers la responsabilité sur Bruxelles. Inversement, en cas de difficultés, Bruxelles est prompte à invoquer une "mise en œuvre déficiente de la part des États membres".

Une chose me semble claire: si l’Europe doit s’unir encore davantage sur le plan politique, il nous faut poursuivre résolument nos efforts dans le sens d’une opinion publique européenne. Les bases sont jetées: les partis politiques, les syndicats et les associations ont déjà constitué des réseaux à l’échelon européen, ils discutent ensemble et ils prennent en partie des décisions communes de très grande portée, comme c’est le cas des groupes politiques transnationaux au Parlement européen.

Il n’empêche que la perception des événements, y compris européens, continue aujourd’hui la plupart du temps d’être nationale. Pour reprendre en substance les paroles de Milan Kundera, je dirai que "toutes les nations européennes connaissent la même destinée commune, mais que chaque nation la vit autrement en raison de ses expériences spécifiques".

J’aimerais, quand nous nous préoccupons de politique, que nous parvenions un jour, nous, Européens, à voir les choses tout naturellement sous un angle européen, en plus de notre perspective nationale. Dans cet esprit, des rencontres comme la vôtre, qui réunit des eurodéputés et des députés des États membres, fournissent une contribution de tout premier ordre.

Mesdames, Messieurs,

Quand nous songeons à l’Europe du futur, nous devrions également renouer avec ce qui, dès le début, a constitué un volet tout à fait essentiel de l’idée européenne, à savoir la valeur européenne de la solidarité. Dans sa déclaration restée célèbre, le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman lançait déjà en 1950 un appel à une "solidarité de fait".

Or la solidarité, c’est-à-dire la certitude que nous nous portons garants les uns des autres en Europe et que nous pouvons compter les uns sur les autres, voilà pour moi quelque chose qui, à l’avenir également, est une clé essentielle pour nous permettre de relever les défis énormes auxquels nous devons faire face à l’heure de la mondialisation. Cela s’applique au sein des sociétés européennes, tout comme cela s’applique entre les États membres.

Si c’est aussi important pour moi, c’est parce que, selon moi, c’est précisément cet élément solidaire que les Européens attendent et qui fait croître leur adhésion à l’Europe. Ils voudraient qu’à l’avenir également, l’Europe symbolise l’égalité des chances et la participation, qu’elle symbolise une société associant la compétitivité économique à la responsabilité sociale et écologique.

Cette dimension sociale est dès aujourd’hui une "marque de fabrique" de l’Europe. Poursuivre son développement, dans le contexte de la mondialisation précisément, représente à mes yeux l’une des grandes missions futures de l’Union européenne.

Mesdames, Messieurs,

La politique étrangère européenne et la politique européenne de défense, la solidarité européenne et la définition de la dimension sociale: si j’ai abordé ces sujets, c’est parce qu’ils font partie à mon avis de tout débat sur le futur de l’Europe. Parce que ce sont des sujets qui contribuent pour une part décisive à déterminer la réussite ou l’échec de la politique européenne aux yeux des citoyennes et des citoyens.

C’est précisément pourquoi ces sujets jouent aussi un rôle essentiel dans la réforme prochaine des traités.

Pour finir, permettez-moi de dire quelques mots à propos du Conseil européen tout proche.

Vous connaissez tous la situation: la Constitution européenne a été signée par l’ensemble des États membres, ratifiée par 18 pays, mais elle a échoué dans deux États membres à cause du "non" de la population au référendum.

Les questions auxquelles la Constitution s’efforçait de répondre ne sont pas pour autant moins urgentes aujourd’hui qu’il y a trois ans. Bien au contraire! Il nous faut disposer au sein de l’Union européenne de bases de travail renouvelées si nous voulons pouvoir nous acquitter avec succès des tâches qui nous attendent, qu’il s’agisse de la protection du climat, de la sécurité énergétique ou du règlement des crises internationales actuelles. C’est pourquoi, en tant que présidence, nous faisons tout pour que le sommet à venir soit une réussite.

Je l’ai toujours dit: si nous voulons résoudre cette question, nous devons tous bouger. J’ai d’ailleurs l’impression que cette volonté de bouger existe et j’espère qu’en fin de compte elle se manifestera vraiment de tous les côtés. J’aimerais vous remercier maintenant pour l’appui que nous recevons, à la présidence du Conseil de l’UE, dans notre quête de compromis aussi bien de la part du Parlement européen que des parlements nationaux.

Nos consultations ont montré que la nette majorité des États membres tient à conserver le paquet institutionnel convenu en 2004 parce qu’il rend l’Union européenne plus démocratique, plus transparente et qu’il renforce sa capacité d’action. De plus, le traité constitutionnel apporte également des progrès importants dans les politiques sectorielles, concernant en premier lieu l'action extérieure, le domaine de la justice et des affaires intérieures, la politique de l’énergie et la dimension sociale de l’Union européenne. Ces progrès doivent être préservés. C’est l’avis général, tout comme tout le monde voit l’utilité de réfléchir encore une fois aux domaines qu’il serait bon de compléter, par exemple la protection du climat ou le domaine de la solidarité énergétique, des domaines donc que les citoyens jugent particulièrement importants.

S’agissant de la Charte des droits fondamentaux, qui constitue un volet du traité constitutionnel, une très large majorité est pour préserver son caractère juridique contraignant sans pour autant étendre les compétences de l’Union européenne.

Par ailleurs, il y a une forte volonté de renforcer le principe de subsidiarité. La question de la délimitation encore plus précise des compétences entre l’Union européenne et les États membres s’inscrit dans ce contexte. De même que s’y inscrit un nouveau renforcement du rôle des parlements nationaux, sans créer pour autant de nouvelles possibilités de blocage. Nous notons également une volonté de réfléchir à l’éventualité de renoncer à des désignations et à une symbolique qui, du moins dans certains pays, ont eu tendance à susciter chez les citoyens des appréhensions et des craintes plutôt qu’à engendrer un engouement pour l’Europe.

J’ai l’impression que toutes les parties prenantes ambitionnent sérieusement d’asseoir l’Union européenne sur des bases communes rénovées d’ici les élections au Parlement européen de 2009. De tous les côtés, je constate une volonté de trouver un compromis solide et il me semble même qu’une nouvelle dynamique est née.

Il est clair que nous ne sommes pas encore arrivés au but. Néanmoins, une sorte de couloir qui pourrait déboucher sur une solution semble se dessiner peu à peu, à l'intérieur duquel un accord pourrait être possible.

L’Europe a toujours vécu de ce que des responsables politiques clairvoyants non seulement ont conçu des visions audacieuses mais qu’ils ont également pris au bon moment des décisions courageuses.

Sans vouloir employer le grand mot de "destinée", je pense pour ma part qu’un tel moment est imminent. Et j’ajouterai que les Européens attendent de nous que nous le mettions à profit!

Je vous remercie de votre attention.

UE

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