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Thursday, June 7, 2007

***Nicolas Sarkozy : "J'ai besoin d'une majorité large pour réformer en profondeur"***


*** LE FIGARO - Quels enseignements tirez-vous de ce premier mois à l'Elysée ?

Nicolas Sarkozy.- J'ai essayé de mettre à profit ce mois pour que - si les Français me donnent une majorité à l'Assemblée nationale - mon gouvernement puisse se mettre au travail dès le lendemain des législatives. J'ai été élu sur un projet fort, cohérent, basé sur la franchise et la vérité. Mon devoir c'est de mettre en oeuvre ce projet. J'ai eu l'occasion de dire qu'en matière économique et fiscale, je ne laisserai personne le dénaturer. Je veux dire, avec la même force, pour que cela soit bien compris de tout le monde qu'il en ira de même avec mon engagement en faveur d'une République irréprochable et d'une démocratie exemplaire.

Vous faites allusion à votre proposition de réserver la présidence de la commission des finances à l'opposition...

Notamment. Je comprends parfaitement que cet engagement, que j'ai pris devant les Français, puisse bousculer certaines traditions et peut être gêner des ambitions, mais tout cela a bien peu d'importance au regard de l'enjeu. Mon devoir de président c'est de rassembler une majorité et le devoir de la majorité c'est de s'ouvrir. Si la majorité ne s'ouvre pas, elle se condamne. Le président de la République ne peut être l'homme d'un parti ou d'un clan. Cet engagement sera donc tenu dès le lendemain des élections législatives. Mais j'irai plus loin.

Comment?

Je pense à la place qui doit être faite au développement durable. Je pense au rôle du Conseil économique et social, aux méthodes de travail du Parlement. Je pense aux droits de l'opposition qui doit enfin avoir un statut. Je pense à l'encadrement des nominations, à l'évaluation de tous les responsables sur leurs résultats. Je crois à cette politique. Je la mènerai. Je suis heureux d'avoir dans mon gouvernement des hommes de la qualité de Bernard Kouchner, de Jean-Pierre Jouyet, d'Eric Besson et Martin Hirsch. Ils ont été courageux. Si l'opportunité se présente, je proposerai à d'autres personnalités de gauche et du centre de nous rejoindre. Avec l'ouverture, je n'ai pas voulu faire un «coup». Je veux réformer en profondeur notre pays pour le moderniser. Parce que les changements seront forts, j'ai besoin d'une majorité large.

Cela devrait être le cas, si l'on en croit les sondages...

Rien n'est gagné. Rien n'est joué. L’heure n’est certes pas à la répartition de postes qui ne sont pas encore conquis. J'engage tous les responsables de la majorité à se battre jusqu'à la dernière minute, comme je l'ai fait moi-même, avant le premier tour et le second tour.


En demandant une large majorité, ne donnez-vous pas des arguments à ceux qui vous reprochent de «vouloir tous les pouvoirs»?


Ceux qui disent cela sont ceux qui se sont battus au côté de François Mitterrand pour lui donner la majorité que l'on sait! «Tous les pouvoirs», cela ne les gênait pas quand c'était pour la gauche! Qu'est ce que cela veut dire quand vingt régions sur vingt-deux sont à gauche, quand plus de la moitié des départements sont à gauche, quand tant de communes sont à gauche? Je n'essaie pas de savoir si la majorité sera trop grande ou trop petite. Je me bats pour obtenir le soutien parlementaire qui me permettra de mettre en oeuvre le projet ratifié par les Français. Je me bats pour avoir une majorité qui m’aide à appliquer le mandat qui m’a été confié.

Réformerez-vous le mode de scrutin des législatives ?

Je recevrai après l'élection toutes les formations politiques représentées à l'Assemblée, au Sénat et au Parlement européen...

Y compris le Front national ?

Au nom de quoi l'écarterais-je, dès lors qu'il a des élus? J'écouterai les propositions de chacun. Si un consensus se dégage en faveur d'une dose minoritaire de proportionnelle, nous en discuterons. Je ne suis pas fermé.

Allez-vous procéder à un remaniement après les législatives ?

Des secrétaires d'Etat feront leur entrée. Je précise tout de suite qu'ils seront nommés en petit nombre : on ne doublera pas, loin de là, la taille du gouvernement! J'ajoute qu'ils devront répondre à des critères de diversité à la fois par leurs origines territoriales, leurs origines politique et être représentatifs de la France multiple. Par ailleurs, la parité est un objectif auquel je ne renoncerai pas.

Comment définiriez-vous votre relation avec François Fillon ?

Je voudrais rendre hommage à son action. Il fait un excellent travail et j'ai avec lui une relation très confiante et très amicale. Nous avons construit le projet ensemble, nous le mettons en oeuvre ensemble. Nous sommes complémentaires. Nos montres marquent la même heure. En un mois, je n'ai pas eu un cas de désaccord entre nous.

Des frictions sont tout de même apparues lorsque le ministre du Budget a évoqué la question de la déduction des intérêts d'emprunt ou la «pause» dans la lutte contre les déficits ...

Sur ce dernier point, je ne laisserai dire à personne que nous ne tiendrons pas nos engagements européens en matière de maîtrise des dépenses publiques. Je n'ai jamais employé le mot «pause». La France a pris des engagements, elle les respectera. Pour réduire les déficits, il faut réduire les dépenses et augmenter les recettes. Je suis engagé dans un projet de revalorisation du travail. J'affirme que cette politique nous permettra de gagner la croissance qui nous manque. Mais cette démarche n'est pas exclusive d'économies. Je confirme la règle du non-renouvellement d'un fonctionnaire sur deux dès le budget 2008. Je confirme que nous réformerons les régimes spéciaux en 2008. Je confirme aussi qu'il nous faudra trouver de nouvelles économies sur l'assurance maladie.

La session extraordinaire se prolongera-t-elle en août ?

Le mois de juillet sera consacré à l'action législative prioritaire. Le mois d'août, aux vacances. Dans l'immédiat, je veux faire passer un texte économique et financier très fort qui montrera la cohérence de notre politique

Ce ne sera pas un collectif budgétaire ?

Non. Un collectif budgétaire c'est ouvrir de nouvelles dépenses. Moi je veux créer les conditions d'une nouvelle stratégie économique.

Allez-vous bousculer les habitudes lors du 14 juillet ?

Le 14 juillet, j'inviterai un détachement militaire de chacun des vingt-six pays de l'Union européenne à défiler sur les Champs Elysées. Ce sera un beau symbole ! La garden-party sera consacrée aux victimes et plus largement à tous ceux qui ont traversé des épreuves. Seront aussi invités tous ceux qui ont fait un acte de bravoure. Le soir, nous organiserons au Champ de Mars un grand concert en l'honneur de la France et de l'Europe.

Et la traditionnelle interview présidentielle ?

Ce sera une conférence de presse, probablement un peu avant le 14 juillet.

Vous avez annoncé une loi contre les «parachutes dorés». Comment va-t-elle fonctionner ?

Le dispositif, très simple, consistera à lier l'existence de primes de départ - qui devront être votées par l'assemblée générale des actionnaires - à la performance du dirigeant remercié. Pas de performance, pas de prime.

Le président de la République soutient-il un candidat pour la présidence de l'Assemblée et celle du groupe UMP ?

Non. Mais le président de la République peut dire à ses amis: avant de vous concurrencer pour savoir qui présidera quoi, peut être serait-il plus judicieux de conquérir d’abord la majorité.

Que pensez-vous de la controverse entre Jean-Pierre Raffarin et Patrick Devedjian sur la gouvernance de l'UMP ?

Je ne suis plus président de l'UMP et je n'ai pas à avoir d'opinion sur le sujet. Il n'est pas absurde qu'une formation politique modifie son organisation dès lors que le président de la République est issu de ses rangs. Mais cette affaire de statuts n'intéresse pas les Français, ni le président de la République.

L'UMP est tout de même votre famille politique ?

C'est ma famille d'origine mais je ne suis plus président de l'UMP. Le président de la République ne peut pas être membre d'un parti politique. En même temps, mon devoir est de rester à l'écoute de ceux qui sont mes électeurs et qui doivent pouvoir me dire un certain nombre de choses.

Et la réforme de la carte judiciaire ?

La réforme de la carte judiciaire est indispensable et incontestable.

La justice de proximité ce n'est pas d'avoir un tribunal dans toutes les villes. C’est d’avoir une justice rapide et incontestable qui réponde aux vœux des justiciables. Il y a des départements où il y a trois tribunaux de grande instance, d'autres où il y a plusieurs cours d'appel. Depuis 1958, la carte judiciaire n'a pas évolué. La France, oui. Des discussions doivent s’ouvrir.

Vous vous étiez engagé à définir le rôle de votre épouse après votre élection, qu'en est-il ?

Nous en parlons beaucoup, elle et moi. Elle aura l'occasion d'exposer sa vision de son rôle d'ici peu, lorsque les choses seront définitivement calées.

Avez-vous eu un contact avec Jacques Chirac depuis son départ ?

Non.

Au conseil européen de juin, vous ne vous opposerez pas à l'adhésion de la Turquie à l'Union. Avez-vous changé d'avis ?

Ma priorité en Europe est d'obtenir le traité simplifié. Mais si je pose, en même temps, la question de la Turquie, il n'y aura pas de traité simplifié. Je n'ai pas changé d'avis: la Turquie n'a pas sa place en Europe. Mais le rendez-vous est en décembre, pas en juin. J'ai engagé des discussions avec le premier ministre turc, M. Erdogan, pour lui faire comprendre que ma position n'était en rien dirigée contre les Turcs mais qu'elle concernait la question essentielle des frontières de l'Europe. Après le Conseil européen de juin, je proposerai une stratégie qui permettra de trouver une voie pour ne pas casser l'Europe et, en même temps, ne plus continuer sur la stratégie de l'adhésion.

Où en est-on dans la négociation en vue d'un traité européen simplifié ?

Cela progresse parce que certains de nos partenaires ont compris que la France, en élisant un président de la République qui a eu le courage de s'engager sur une ratification parlementaire, apporte les clés pour sortir de la crise européenne. Reste à se mettre d'accord sur le contenu du traité simplifié. Cela ne peut pas être une Constitution dont les Français n'ont pas voulu. Il faut qu'il y ait de la substance: un président stable du Conseil européen, un ministre européen des Affaires étrangères, des domaines plus larges soumis à la majorité qualifiée et une référence aux droits fondamentaux. Aujourd'hui, personne ne dit plus que c'est impossible.

Qu'attendez vous du G-8 ?

Je souhaite un accord sur un objectif chiffré pour la réduction des gaz à effet de serre. On ne peut pas transiger là-dessus. Je suis un ami des États-Unis, un allié déterminé et un ami sans arrière pensées. Mais je leur dis: il faut faire un effort. La première puissance du monde ne peut pas s'exonérer de donner l'exemple sur la préservation des équilibres de notre planète. Le deuxième enjeu consiste à mobiliser davantage de richesses en faveur de l'Afrique. Qui ne voit qu'il y a lien entre les deux enjeux ? Au Darfour, des populations se sont déplacées à cause de la sécheresse et cela conduit à des affrontements barbares. Je veux porter une autre politique africaine qui consiste à parler franchement aux Africains. Je crois au droit à l'accès universel au traitement du Sida en 2010. Mais je veux parler un langage de vérité aux Africains : leurs problèmes ne viennent pas que de l'extérieur de l'Afrique.

Au Darfour, que faut-il faire ? Des couloirs humanitaires ? Des sanctions contre Khartoum ?

Il y a au Darfour deux cents camps de réfugiés sur un territoire grand comme la France. Et c'est la saison des pluies....

Mais on ne peut rester les bras croisés. Il faut d’urgence traiter les trois dimensions de cette tragédie : la sécurité avec l’envoi d’une force ONU-Union Africaine, la relance d’une négociation politique et, enfin, l’aide humanitaire sous toutes les formes possibles. J’en parlerai au G8 et à ma demande Bernard Kouchner se rendra sur place dans les prochains jours.

Comment abordez-vous votre rencontre avec Vladimir Poutine ?

Il est très important d'avoir de bonnes relations avec la Russie. C'est un grand peuple, une grande nation. Je n'ignore pas les difficultés de M. Poutine, ses problèmes et ses réussites. Je vais le voir avec beaucoup d'intérêt, pour l'écouter et pour le comprendre. Qu'est ce qui le motive ? La Russie est redevenue un grand pays du monde. Cela devrait la conduire à la sagesse et à la sérénité. Je dirai à M. Poutine que l'amitié c'est également la franchise. Il est franc quand il parle de son désaccord avec les Américains sur le système antimissile. Je ne prends pas cela comme inamical. Il ne doit donc pas juger inamicales les questions qui ont été posées sur les droits de l'homme, et sur l'économie de marché en Russie. Je vais le rencontrer avec la volonté qu'on se comprenne et que lui aussi accepte qu'on n'est pas forcément tous sur la même ligne.

Est-ce une bonne idée de déployer ce bouclier antimissile en Pologne et en République tchèque ? Pourquoi n'en a-t-on pas parlé entre Européens ?

Ce bouclier ne peut pas être efficient contre les missiles russes compte tenu justement de sa proximité. Il est peut-être agressif à l'endroit de la Russie politiquement mais il ne l'est pas militairement. Il eut mieux valu une concertation européenne, c'est certain. M. Poutine a raison de nous dire qu'il faut comprendre le sentiment national russe mais je lui demande de prolonger sa réflexion. Comprenons l'histoire de la Pologne, comprenons l'histoire de la République tchèque.

Le dossier d'Ingrid Betancourt avance. Avez-vous un espoir de dénouement rapide ?

Pas à ce jour. Je veux rendre hommage au président Uribe qui en libérant Rodrigo Granda a fait un geste dont je mesure qu'il n'était pas facile pour lui. La négociation est très difficile. Ce que nous avons fait était nécessaire mais n'est pas suffisant. D'autres discussions auront lieu. Je ne peux en dire plus. La priorité est d'avoir une preuve de vie d'Ingrid Betancourt. Ensuite nous pourrons prendre d'autres initiatives.

Nicolas Beytout, Alexis Brézet, Pierre Rousselin et Bruno Jeudy.
Publié le 06 juin 2007
Le Figaro

*La première photo de Nicolas Sarkozy dans le bureau présidentiel, le 6 juin à l'Élysée
Martine Archambault/Le Figaro.

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